« Pourquoi vous êtes-vous blessée le genou ? » demande une psychologue à Tony, admise en centre de rééducation suite à un accident de ski. Pas de réponse. La thérapeute poursuit gauchement son raisonnement : « Vous vous êtes bléssée le genou... ‘ge’ et ‘nou’, articule-t-elle, dans cet accident il y a le ‘je’ et le ‘nous’. » Débutent alors les flashbacks de la vie de Tony avec Georgio, où ressurgissent les éléments éparses d’un amour passionnel, aussi beau que destructeur.
Si vous avez manqué le merveilleux film de la réalisatrice Maïwenn (dont on ne discutera pas les derniers propos polémiques ici) re-diffusé sur Arte le 18 Novembre dernier, Mon Roi reste disponible en VOD sur la Cinetek. Pourquoi est-il impératif de (re)(re)(re)regarder ce véritable bijou cinématographique ?
Parce que Mon Roi, c’est une épatante direction d’acteurs. Quatre ans après avoir reçu le prix du jury du Festival de Cannes pour son Polisse (2011), Maïwenn revient en Sélection Officielle avec le premier film dans lequel elle ne figure pas, Mon Roi. Entourée de comédiens talentueux, caméra(s) à l’épaule, elle pousse la technique Maïwenn à son paroxysme. Elle amène ses personnages à s’émanciper du texte tout en servant son propos, leur chuchotant des répliques improvisées. Elle a d’ailleurs recueilli les applaudissements du Festival. Emmanuelle Bercot recevant le Prix d’Interprétation Féminine pour la vérace authenticité de son jeu, en est la preuve incontestable. À force d’improvisations « contrôlées » - il s’agit pour la réalisatrice de diriger les acteurs vers une lecture qui leur appartient - elle parvient à nous faire complètement adhérer au scénario et à follement aimer ses personnages. On a du mal à détester Georgio, car comme Tony, on l’aime dans ses moments de show off, dans ses instants de vulnérabilités et de tendresse... On admire encore davantage Tony, amazone moderne qui se bat dans sa passion pour cet homme, parvenant presque à la transcender. Maïwenn prête non seulement une grande attention aux dialogues, mais aussi et surtout au langage du corps. Ce corps meurtri et dévasté de Tony qui appelle à l’aide.
Parce que Mon Roi, c’est une magnifique histoire d’amour. Maïwenn emploie ici son female gaze, un procédé de mise en scène qui fait du bien : aucun des amants n’est objetisé. La caméra est de plain-pied ou frontale, ne reluquant jamais un protagoniste de bas en haut. D’une part, la distribution du film, bien que composée de beaux gosses, ne répond pas tout à fait aux standards de beauté de nos sociétés actuelles. D’autre part, dans Mon Roi, les yeux d’Emmanuel Bercot nous sont prêtés. Ce sont les yeux d’une femme follement amoureuse et captive de son amour. Le regard de Tony dans la scène finale (que je ne divulgâcherai pas) donne tout son sens au titre du film : Georgio est son roi...
Maïwenn parvient à nous plonger dans l’intimité d’un couple. À l’aide d’ellipses, elle nous raconte une histoire de 10 ans en 2 heures, et nous dessine des personnages complexes, aux multiples facettes. Elle nous décrit l’addiction réciproque de deux personnes, aussi toxique qu’étouffante. Emmanuelle Bercot et Vincent Cassel nous montrent comment chacun est dépendant de l’autre, et comment ils tentent tous deux de gérer cette dépendance. Tony pardonne tout à Georgio qui se bat contre son instinct de fuyard, elle lui pardonne tout, jusqu’à... Aussi, le female gaze ressurgit lorsqu’on finit par s’identifier à Tony, qui, en même temps que nous, découvre les facettes de l’homme qu’elle aime. Et on est tout autant démuni(e)s.
Mais aussi parce que Maïwenn a l’intelligence de nuancer ses points de vue. Elle offre une complexité diamantaire à ses protagonistes. Comme le souligne Vincent Cassel dans une conférence de presse tenue le matin de la projection du film au Festival de Cannes, il ne joue pas qu’un pervers narcissique. Beaucoup d’hommes peuvent se reconnaître dans son personnage, un homme qui fuit, qui aime inconditionnellement sa femme, mais qui ne sait pas l’aimer. De fait, on finit par aimer Georgio autant qu’on le déteste, il nous attire autant qu’il nous répugne... on l’admire autant qu’on le méprise. L’intrigue n’est pas manichéenne : ce n’est pas Georgio le salaud, et ce n’est pas Tony la victime. Ils sont tous deux sous l’emprise de leur passion qu’ils ont l’un pour l’autre. En témoigne cet extrait (mon préféré) qui ne porte d’autre regard que celui de l’amour : https:// www.youtube.com/watch?v=6sDlpea5ZTs
Mon Roi c’est aussi et avant tout, un tribut à la force d’une femme en lutte contre ses propres failles. Plus les années passent, plus l’évidence de leur incapacité à vivre ensemble devient inexorable. Épaulée par son frère Solal, interprété par le tout aussi épatant Louis Garrel, le seul être lucide quant à la nuisance si bien maquillée de Georgio, Tony va devoir développer des armes. Mais, comme le spécifie Emmanuelle Bercot dans une interview pour Allociné (15 octobre 2015), les deux personnages sont dans une relation de dépendance aïgue. On sait que c’est mal de replonger, mais c’est tellement bon...
Enfin, il faut voir Mon Roi, car comme dans tous les films de Maiwenn, l’intrigue tisse une critique sociale en toile de fond. Le centre de rééducation devient le théâtre où se lient des relations profondes entre l’héroïne, avocate prisée et reconnue, et des jeunes de toutes origines. La diversité sociale de ses partenaires de galère lui offre une bouffée d’oxygène nécessaire, et les deux mondes s’apprennent l’un l’autre les clés de la résilience...
Bref, Mon Roi est un chef d’oeuvre aussi complexe qu’une histoire d’amour, qu’il serait vain de tenter de définir en quelques pages. C’est une sublime ode passionnelle, qui ne peut laisser indifférent(e). Pour vous faire votre propre avis, n’hésitez pas, courez le louer sur la Cinetek !
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