La Cravate, tout chamboulé qu’on en sortira, l’on ne regrettera pas d’être allé la voir. C’est le film documentaire français de l’année – créé en 2019 certes, et avec pour base la présidentielle de 2017, mais sorti début 2020 tout de même.
La Cravate, c’est à la fois un documentaire sur un moment précis, assez bien défini, et sur un bien plus grand laps de temps.
Ce moment, c’est donc la présidentielle de 2017, ou plutôt sa campagne. Une campagne qu’on ne suit pas de n’importe où : on accompagne un militant RN – un vrai, non un simple électeur ; qui plus est une sorte d’étoile montante, puisque dans son parcours il ira jusqu’à rencontrer (et aidera à réaliser des vidéos dans le cadre de ladite campagne) Florian Philippot, qui à l’époque n’était pas un politicien de seconde zone terni par un pauvre pour-cent récolté aux européennes, mais le glorieux numéro deux de ce qui était déjà plus ou moins le premier parti de France (et le confirmerait à l’occasion des mêmes européennes), au point que sa candidate arriverait au second tour de cette élection.
Ce laps de temps, c’est la vie du militant FN (et non RN comme on a pu le dire ci-dessus ; c’est justement cette élection qui fera remplacer le militaire Front par un plus consensuel Rassemblement). Une vie assez chargée pour des raisons qu’on ne vous révèlera pas ici – il s’agit de ne rien vous gâcher – et dont les détails permettent de comprendre son parcours très particulier. C’est le récit d’une politisation à la française, aussi.
Voir la Cravate est une bonne chose, et pour bien des raisons.
On y voit ce que c’est que de militer au FN. On croise des membres, on voit une réunion électorale, des bureaux locaux… C’est toujours important de se donner au moins une idée de ce que sont les grands partis de notre pays (ou de celui au sein duquel on fait ses études !), qu’on adhère ou non à son idéologie – et même, voire surtout, si l’on s’y oppose. Pour comprendre comment on en arrive là, quelles sont les vraies motivations. On découvre, même très partiellement, les engrenages du FN, du moins ce qu’ils étaient en 2017 (et on supposera que même sans Philippot, le parti n’a pas transformé de manière trop prodigieuse sa structure en devenant RN) : une structure mieux hiérarchisée (ou du moins plus) que ce à quoi on aurait pu s’attendre, des jeux de pouvoir très classiques en dépit du populisme (d’où des désillusions pour le protagoniste qui avant son ascension ne voyait pas ce genre de choses), mais aussi de vraies expériences de terrain.
On y découvre un parcours, une France qui n’est pas celle de Sciences Po. Ce parcours, c’est celui du militant suivi, dont on évitera de généraliser le cas puis qu’ainsi qu’on a pu le dire plus haut il est assez singulier. Mais il s’inscrit dans le cadre d’une France qui, sans être forcément étrangère à tous les élèves de l’Institut du fait de la diversité des recrutements, n’est pas celle qu’on retrouve en ces murs. Elle ne peut s’en permettre les formes, la distinction, l’apparat : si le film s’appelle la Cravate, c’est aussi parce que ce genre d’habit, que sa montée en grade rend nécessaire, était totalement inhabituel pour le protagoniste. C’est aussi parce que cette part-là de la France est ainsi qu’elle vote FN ; si on le sait souvent déjà, il n’est pas nuisible de se le rappeler et de le voir de manière plus concrète.
Comment ressort-on de la Cravate ? Mal à l’aise, il faut l’avouer, si l’on n’est pas franchement d’accord avec le parti en question (ce qui était, et reste mon cas). Mais pas tellement mal à l’aise à cause des idées : mal à l’aise du fait de ce qu’on a vu, de cette France comme du FN lui-même, et de ce militant, qu’on ne peut en outre s’empêcher d’apprécier tant on le suit de près et tant on intègre sa vie, et pas seulement politique – même si toute l’habileté du réalisateur consiste à nous ramener sempiternellement à celle-ci. Et il peut être bon de se dire que parfois, ce genre de coup de collet est nécessaire : parce qu’un documentaire, ça n’a pas vocation à être une comédie mais à rapporter – fonction que ne manque pas de remplir brillamment la Cravate, trop brillamment peut-être… sans doute parce qu’on n’avait au fond pas envie d’en voir autant. Mais qu’on en avait besoin.
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