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Alexandre Haïoun-Perdrix

S'envoler loin du confinement avec Les Aérostats

En moyenne, Amélie Nothomb, avec la régularité d’un métronome, offre à ses lecteurs deux collations annuelles ; insuffisant au gré des plus grands amateurs peut-être, mais beaucoup c’est certain. C’est déjà là un premier motif pour ne pas être déçu : l’on sait par avance qu’on aura de quoi se rassasier.



Le deuxième, c’est que l’on sait en bonne partie ce que l’on y trouvera. Un style rare, premièrement, qui réussit à être beau selon des critères classiques sans pour autant perdre en fluidité ni en attrait potentiel auprès de lecteurs plus modernes – en témoignent d’un côté le prix de l’Académie Française, de l’autre les millions d’exemplaires vendus. Une agréable tendance à l’absurde ensuite, un absurde qui prête quasi-systématiquement à rire : absurde des situations, absurde des dénouements, absurde des personnages, aux caractères et états d’âme tels que l’on s’en souviendra des années plus tard à la seule évocation de leur nom. Et quels noms ! Si l’on s’écarte du niveau d’imposition propre à ceux-ci qu’on a pu trouver chez l’Epiphane d’Attentat, le Textor de Cosmétique de l’Ennemi, la Pannonique d’Acide Sulfurique, Ange, Pie, Dominique participent aussi excellemment que dans ces cas à appuyer si ce n’est à créer le personnage qu’ils étiquettent.


Et c’est là le plus intéressant dans les textes de Nothomb, la troisième raison de se satisfaire de cet énième opus puisqu’il l’illustre à merveille : la capacité de créer en bien peu de pages un monde entier (qu’y pensent les petits lecteurs ou ceux qu’un emploi du temps par trop chargé empêcherait de s’adonner longuement à ce plaisir !) – jamais beaucoup plus de 200 en format poche. Un monde clos il est vrai mais autarcique. On y trouvera comme d’habitude évidemment des références au passé des personnages mais ceux-ci s’intègrent à ce monde : ledit passé semble à vrai dire se confondre avec les personnages, ce qui permet de le garder fermé, de faire du texte un espace-temps à part entière, coupé de toute réalité et pourtant si semblable à la nôtre. D’autant plus qu’on n’y trouvera que peu de lieux : on comptera cette fois-ci une colocation, une villa, une université, une forêt et les rues de Bruxelles. C’est donc aux personnages de pallier à cette faiblesse en formant eux-mêmes le monde ; et c’est la spécialité de l’écrivaine. Cela nécessite bien sûr une forte caractérisation : mais chose plutôt rare chez Nothomb, la protagoniste n’est pour une fois pas si exagérée dans son caractère, elle se contente de déambuler au milieu d’autres qui le sont, et de nous les donner à voir. Là aussi, fait classique, vous n’aurez pas à suivre difficilement des péripéties incompréhensibles : pour absurde que fût l’action, l’on a au moins la joie de la prendre de plein fouet - à la première personne du singulier et sans préavis ! C’est déroutant, ça frappe et ça sonne ; mais n’est-ce pas ce qu’on est venu chercher chez Nothomb ?


Cela ne doit pas nous amener à négliger une grande spécificité des Aérostats, qui doit d’autant plus pousser notre suffrage en sa faveur. C’est que ce roman est bien plus proche de nous que n’ont pu l’être la plupart des précédents. Parce que le cadre en est moins exceptionnel, premièrement, se réduisant aux lieux cités plus haut ; parce que les deux personnages principaux, une étudiante et un lycéen, par leur fonction et leur âge, sont ce que nous sommes et venons de quitter. Or il n’est pas d’évasion plus facile que celle qui se fait près de chez soi – ou en un lieu qui se présente comme tel !


En somme, on ne saurait trop le conseiller à des lecteurs confinés (quoique de moins en moins, et qui sait pour le S2…). C’est le livre d’une auteure dont les situations peuvent dépasser en étrangeté la nôtre actuelle, et leur gravité au moins l’égaler ; et c’est pourtant, répétons-le, toujours un plaisir à lire et littéralement une évasion, tout clos que fût le monde proposé.

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