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Se reposer au son de la Ballade du Serpent et de l’Oiseau Chanteur

2020 comme toute année a été marquée, en dépit du coronavirus, par des sorties de livres depuis longtemps annoncés et attendus parce qu’appartenant à une série dont l’on attendait désespérément la suite ; mais aussi la parution d’œuvres liées à d’autres séries dont l’on ne pensait plus voir sortir d’autres pans. Parmi eux Hunger Games : la trilogie, au faîte de sa gloire il y a quelques années déjà, semblait échapper à cette règle qui voulait que toute fiction littéraire qui marchât eût non seulement ses adaptations cinématographiques, mais encore des poursuites imprévues ou a contrario des prequels, souvent de moindre qualité puisque rajoutés à la va-vite et sans la grandeur de leurs prédécesseurs. Sauf qu’en 2020 est sortie en version française la Ballade du Serpent et de l’Oiseau Chanteur. Mais à la vérité, ce texte n’infirme pas nécessairement le caractère d’exception de la série : car qui dit qu’il est de moindre qualité ? Se poser cette question revient à se demander : qu’est-ce qui fait que lire la Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur en vaut le coût ?



C’est d’abord la série à laquelle il appartient. On garde souvent de Hunger Games l’image d’un bain de sang sans fin ni logique, d’une caricature de cirque romain où l’on aurait remplacé le spectateur bestial et plébéien par un lecteur pouvant s’offrir ce plaisir pour des frais moraux moindres, les victimes de ses délices n’étant que fictives. C’est un malentendu qu’il s’agit de dissiper : Hunger Games est bien plus que ça. Mais il faudrait toute une critique pour le détailler, aussi se contentera-t-on de nier un postulat trop répandu à son sujet, au moyen d’un exemple ; ce postulat, c’est que sa violence tuerait jusqu’à l’embryon de la possibilité de l’espoir de sa qualité. Le contre-exemple auquel je ferai appel est une des rares œuvres que j’ai pu lire qui fussent plus brutales que Hunger Games : cette œuvre, c’est Sallâmbo. Or Sallâmbo c’est non seulement du Flaubert mais encore du très grand Flaubert ; l’inadéquation entre qualité et violence, toute regrettable que pût être cette dernière, est donc factice.


C’est ensuite une suite de facteurs indépendants de la série elle-même et plus propres à l’œuvre, ou trouvables dans la série mais aussi dans la Ballade en tant qu’œuvre seule ; on ne saurait autrement vous conseiller de la lire. Lire la Ballade (nous abandonnerons le plein titre) est un vrai plaisir, un plaisir stylistique déjà, et ce malgré une écriture justement assez différente de celle que l’on put trouver dans le cycle puisque la traditionnelle première personne du singulier est délaissée au profit de la troisième. Ce qui n’empêche pas de conserver une caractéristique essentielle : la focalisation totale sur le protagoniste et ses sentiments – mais avec désormais une certaine distance, qui ne met que plus en valeur le talent remarquable de l’auteure pour nous faire aimer un personnage que nous savons pourtant, pour ceux qui ont lu la trilogie, promis à un destin très précis. Notre capacité d’empathie à son égard va croissant avec l’ouvrage et sa construction en tant qu’être puisqu’il s’étoffe, se doute d’une vie, d’un passé, d’un caractère ; et au vu de la longueur du roman, on se doute que le résultat final ne peut qu’être conséquent ! Il est d’autres personnages qui sont plus caricaturaux : mais ils sont ainsi faits que cela sert l’histoire et perd en invraisemblance très rapidement dans une société, qui, de toute façon, est extrêmement particulière.


Car la Ballade est aussi, en plus du récit d’un personnage, celui d’un monde : un monde brisé, plein de rancœur et de mauvais souvenirs, qui fait de son mieux pour se reconstruire mais n’arrive pas à le faire autrement qu’en martyrisant ceux qui le martyrisèrent après qu’il les eut martyrisés. Hunger Games est peut-être un récit de violence, mais c’est aussi celui de pourquoi il faut la fuir, en fuir le cercle vicieux, et non une ode à sa puissance ou à sa beauté. Subséquemment on ne cherchera d’ailleurs pas dans la Ballade un livre excessivement joyeux : quand joie il y a, elle est brève ou mauvaise. Ce qui ne peut qu’appuyer la thèse selon laquelle ce livre serait excellent puisque malgré sa constante horreur il réussit à nous persuader de ne pas le lâcher un instant !


Eh oui, il est toujours là ce côté addictif. De la mêm manière que le risque de ne pas valider joue le rôle d’épée de Damoclès pour les élèves qui ignorent leur moyenne et les incitent au travail, la Ballade incite à la nuit blanche – sans qu’il fût pour le coup possible de déterminer quel risque on court à l’abandonner. On supposera à son crédit qu’il n’y en a aucun : c’est pour sa grandeur trépidante, son cynisme enjoué et son suspense qu’on y reste accroché jusqu’aux heures les plus reculées et non par crainte.


Car du suspense il y en a. Et quand il n’y en a pas , c’est encore là qu’il convient le plus de redouter que le tour que l’auteur peut vouloir nous jouer ! On peut tomber d’encore plus haut que dans le cas de la trilogie., et être bien plus estomaqué : par le comportement des personnages, parfois très versatiles ou terrifiants, par les événements…


Enfin, si le livre est excellent, il surpasse encore cela de très loin quand on a lu la trilogie. Lire le livre est troublant ; le lire en ayant lu le cycle est bien plus nuisible que cela au fond, on n’est pas seulement troublé mais presque gêné par certains faits qui par notre connaissance de ce qui viendra nous semblent extrêmement significatifs, d’autant qu’alors même qu’on sait certains événements inéluctables, tout le talent de l’auteure consiste à user de sa prose comme d’un redoutable instrument d’ingénierie pour nous le faire oublier ; si bien que lorsqu’ils leur arrivent, leur évidence nous revient en pleine figure.


La situation initiale de la Ballade a en outre l’avantage de nous rapprocher beaucoup plus du personnage principal que ne le faisait le livre Intérêt : celui-ci vient de finir l’équivalent de son lycée, et aura pour aller à l’université de son souhait à accomplir des formalités telles qu’on en oublierait (mais un instant seulement, n’exagérons rien !) la difficulté des épreuves nécessaires à l’entrée à l’Institut (ou la qualité du dossier qu’il nous fallut rassembler pour nous en voir dispenser, pour l’écrit à tout le moins – l’oral pour nos pauvres admis de 2020).


En somme : si vous ne craignez pas la violence pour peu qu’elle fût compensée par une vraie qualité stylistique et scénaristique – ce qui ici est le cas ! – et ne cherchez pas uniquement en vos lectures rires, bonheur et papillons, n’hésitez plus : jetez-vous dans la Ballade du Serpent et de l’Oiseau Chanteur !

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