Que dire de Spirou chez les Soviets ? Ou plutôt qu’en dire qui pousse à le lire, à l’acheter ou à l’emprunter ? C’est à la fois un grand retour, un joli développement et une critique jouissive.

Le grand retour de deux personnages qu’on aime tant, avec évidemment tout ce qui va avec : Champignac, son comte, ses habitants, le journal Spirou… Toujours avec les mêmes caractères : Spirou l’audacieux et intègre, en costume de groom et accompagné de son sempiternel écureuil (qui cette fois-ci a cependant à la fois moins un rôle de personnage qu’habituellement – moins actif – et plus un statut de personne – plus attendrissant, plus valorisé) ; Fantasio l’un-peu-moins-honnête, un rien vénal, avide de gloire journalistique ; le comte, au-dessus de tout mais subséquemment aussi bien supérieur à la situation et à ses interlocuteurs que comme absent parfois… Cet album semble donc s’inscrire dans la continuité. Mais ce n’est pas seulement un énième Spirou et Fantasio – auquel ca l’on ne le recommanderait pas si franchement ! C’est aussi des développements plus audacieux, dans les personnages, l’histoire et son style, les thèmes abordés.
Les personnages, déjà, sont en soi plus sérieux – ce qui a nécessairement un impact sur l’histoire, dont il advient qu’elle l’est aussi. Comment compenser ? Tarrin et Neidhart y répondent par l’équilibre – non de la terreur mais des forces : plus de sérieux appelle aussi plus d’humour, et peut-être un humour différent, avec ses petites références propres : James Bond, l’Exposition Universelle de Belgique, la guerre Froide… Pour en revenir aux personnages, on n’échappe bien sûr pas aux clichés sur les Russes, mais tournés de telle manière qu’ils participent de l’humour nouveau susdit – OSS 117 ne prouva-t-il pas que les pires penchants de l’humanité, maniés avec plus ou moins d’habileté, peuvent toujours prêter à rire ? Le style est plus grinçant, mais reste fluide, et on ne désapprouvera jamais une ironie aussi savamment dosée ; la Guerre Froide vous y apparaîtra drôle, sans y être aussi inquiétante que comme dans un Docteur Folamour II. Et, donnée à prendre en compte : ce n’est pas parce que ça se passe chez les Soviets que tous n’en prennent pas pour leur compte.
Qu’on soit communiste, capitaliste ou qu’on refuse les deux termes, et qu’on soit ou non à l’aise avec les ricanements sur son bord, on aura du plaisir à lire Spirou chez les Soviets. Parce que l’on y voit surtout des visions exagérées premièrement : ce qu’on y verra de communiste, ce sera un stalinisme qui a du mal à se repentir et rêve du passé en se préte,dans fraternel, mais aussi un système d’économie si libéral, si financier, si patronal, que Milton Friedman lui-même s’en étranglerait de terreur. Parce que chacun de ces deux camps a droit à sa critique ensuite, forte malgré son humour et son côté hyperbolique.
En somme, non seulement on gagnera un bon moment, mais encore on ne perdra pas grand-chose à lire Spirou chez les Soviets : peu d’argent si on l’achète, aucun si on l’emprunte, et une faible quantité de temps à le lire. Son sérieux le mettra à la portée des plus exigeants ; et que se rassurent ceux qui le sont moins voire pas, pour ce qu’on y rit, ils ont eux aussi tout intérêt à se le procurer !
Comments