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Demandez le programme ! Luchini aux Bouffes Parisiens (1/5)


Alors qu'il s'apprête à présenter aux Bouffes Parisiens son dernier spectacle, Conversation autour des portraits et auto-portraits, Fabrice Luchini avertit son public : "C'est une lecture pour un public exigeant, qui sait ce qu'il va entendre." Si L'Artichaut n'a pas la prétention d'être en possession du script mis en scène par Emmanuelle Garassinno, il se propose de vous inviter à lire les cinq œuvres "au programme". Premier volet sur l'ouvrage le plus connu sans doute : Le voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline.


Personnalité controversée - c'est le moins qu'on puisse dire - en raison de son antisémitisme violent et de sa collaboration notoire Céline, de son vrai nom Louis-Ferdinand Destouches, n'en reste pas moins l'un des auteurs francophones les plus renommés. Son style mêlant l'argot Parisien à une précision cruelle, caractéristique, le distingue de tout autre. Sans minimiser le reste de son œuvre littéraire, Le voyage au bout de la nuit, son premier roman, est sans doute le plus abouti, du moins disons le plus connu. Publié en 1932 chez Denoël, l'œuvre frappe par son réalisme, son cynisme, et la capacité qu'a Céline à poser des mots sur ce qui semble indicible.


"- Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat...

- Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans. [...] Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tort, Lola et c'est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir."


De la Place de Clichy où se décide son engagement militaire amèrement regretté par la suite, à la triste banlieue Parisienne où il trace sa carrière de médecin des pauvres, en passant par l'Afrique colonisée ou les usines Ford outre-Atlantique, Ferdinand Bardamu, le narrateur, porte-parole de Destouches, nous entraîne dans ses pérégrinations parfois tendres, souvent désabusées ou désespérées. De fait, Bardamu a connu l'Homme dans ses pires travers : le travail à la chaîne sans répit, sa misère et celle des autres, la luxure, le meurtre, la guerre, la colonisation (bien que Céline ne semble pas préoccupé par le sort des peuples autochtones). Et, par éclats, l'amour : Bardamu déçu par Lola, l'Américaine qui ne supporte pas sa haine de la guerre ; Bardamu déçu par Musyne, la violoniste qui séduit les Argentins ; et Bardamu qui déçoit Molly, son grand amour, en quittant Detroit pour retrouver la France.


"Courage, Ferdinand, que je me répétais à moi-même, pour me soutenir, à force d'être foutu à la porte de partout, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds-là autant qu'ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C'est pour ça qu'ils n'y vont pas eux au bout de la nuit !"


La langue est dure ; obscure en premier lieu. Pour aller au bout de la nuit Célinienne, il faut s'adapter à l'argot de l'époque, certes, mais surtout à la nudité du récit. Nudité car tout est dit crûment, sans précaution de langage. Il faut s'adapter à la structure du texte, très décousu, qui nous transporte d'un décor à un autre sans prévenir.

Le narrateur aussi doit s'adapter, il passe sa vie à essayer, à essayer de vivre en paix avec sa guerre, avec ses guerres. La langue est dure mais, et c'est là le génie absolu de Céline, au milieu de passages banals ou révoltants, se niche le sublime dans le style, et souvent le cruel dans le fond. Mêlant œuvre de fiction et auto-biographie romancée, Le Voyage donne la parole à un Homme qui balance entre misanthropie désabusée et amour des plus fragiles.


Et si vous avez déjà lu Le Voyage, un écrit bien moins connu et bien moins vendu, Mort à crédit, vous plongera dans la jeunesse glauque, tantôt vulgaire, tantôt aventureuse, mais surtout romancée de Bardamu-Céline.

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